En première ligne sur la préparation et le vote de la loi immigration en fin d’année dernière en tant que membre de la commission mixte paritaire qui a ficelé le texte, la députée du Haut-Doubs Annie Genevard défend cette nouvelle loi et fustige les arguments de ceux qui s’en offusquent. Interview
C’est à dire : Revenons quelques instants sur la préparation de cette loi. Que vous a valu le fait d’être un des quatorze parlementaires membres de la Commission mixte paritaire qui a préparé le contenu du texte ?
Annie Genevard : Comme j’avais été l’oratrice de mon groupe parlementaire sur ce texte en Commission lors de l’examen de ce texte début décembre et que j’ai mené pendant toute la semaine les débats en Commission, ma désignation en tant que représentante L.R. de l’Assemblée nationale au sein de cette C.M.P. est apparue assez logique.
Càd : Quelle était l’ambiance au sein de cette commission qui a siégé sans micro ni caméra ?
A.G. : L’ambiance sur ce texte a déjà été très houleuse en commission avec un clivage gauche-droite nettement marqué, elle était à peu près semblable au sein de la C.M.P., même si on est toujours resté au sein de cette Commission mixte sur le fond des questions. Cette loi d’ailleurs réinstaure l’ancien clivage gauche-droite et je trouve cela plutôt sain. La gauche depuis les années quatre-vingt tient la même posture sur la question migratoire et refuse de voir la réalité de la situation aujourd’hui. Nous avons eu trois entretiens approfondis avec la Première ministre, le ministre de l’Intérieur et celui des Relations avec le Parlement jusqu’à tard le soir, puis on a renégocié pied à pied les mesures jusqu’à 1 heure du matin le lendemain. On a bien fait comprendre à la Première ministre que le texte qu’avait voté le Sénat quelques jours auparavant était le bon. Au final, le texte sorti de la C.M.P. reprenait 95 % de celui du Sénat. Toute la difficulté que nous avons rencontrée lors de la préparation et la validation de ce texte, c’était le côté irréconciliable des deux camps. La faute originelle de ce texte était de vouloir mélanger des mesures de droite et des mesures de gauche. Au final, c’est un vrai texte de droite.
Càd : Une victoire de la droite, donc, mais aussi de l’extrême droite à entendre les réactions du R.N. ?
A.G. : Le R.N. n’a pas modifié une virgule du texte pendant la C.M.P. Ils ne font qu’un coup politique sur cette affaire, juste de la récupération. Cette loi immigration est un texte sur lequel le R.N. n’a pas du tout pesé, contrairement à ce qu’ils ont voulu faire croire. C’est clairement une victoire pour la droite et c’est surtout un texte que les Français attendaient. Ce texte signifie d’abord que venir en France, ça se mérite. On n’arrive pas en France avec des exigences ou en ayant des droits, mais on se plie d’abord aux règles de pays, en acceptant d’apprendre sa langue, de se plier aux principes et aux valeurs de la République. C’est ça que signifie cette loi. Il ne s’agit pas de pointer du doigt les étrangers qui vivent déjà sur notre sol, mais ceux qui y arrivent doivent se soumettre à des règles. Il n’est pas anormal que les prestations sociales pour lesquelles on n’a pas contribué s’ouvrent après un certain délai de contribution.
Càd : Cette loi instaure donc une différence claire entre un étranger et un Français. Rien de choquant à vos yeux ?
A.G. : Ces différences concernent par exemple les allocations familiales et donc le regroupement familial. Un étranger venu en France doit attendre 24 mois pour faire venir sa famille et six mois de plus pour obtenir les allocations familiales. Le temps de contribuer au système social de ce pays. Nous disons juste que quand on est un étranger arrivant en France, il faut contribuer un certain temps au système social du pays pour en retoucher les fruits. Ce n’est pas du tout le système de préférence nationale que le R.N. met en avant. C’est uniquement une question de contribution : 5 ans pour les étrangers qui ne travaillent pas et 30 mois pour ceux qui travaillent. Nous considérons à juste titre que quelqu’un qui ne travaille pas ne veut pas participer à la solidarité nationale. Le travail est dans l’A.D.N. de la droite, encore une fois, ce n’est en aucun cas une question de préférence nationale. On ne peut surtout pas comparer notre position à celle du R.N.
Càd : Comment expliquez-vous les levées de boucliers depuis le vote de ce texte ?
A.G. : Ce texte a été voté par toutes les formations politiques, à l’exception de celles de gauche. Nous savons bien que les Français veulent de la fermeté sur la question migratoire. Une immigration qui n’est pas contrôlée et encadrée pose évidemment des problèmes non seulement aux Français mais aussi aux étrangers qui vivent depuis longtemps ici. En 2022, on a accueilli sur notre sol 500 000 étrangers, réguliers ou demandeurs d’asile. Et on ne compte pas moins d’1 million d’étrangers en situation irrégulière. La fermeté, c’est de vouloir reprendre le contrôle sur ces flux, il n’y a rien de choquant à cela.
Càd : L’Aide médicale d’État a finalement été sortie du texte. Êtes-vous de ceux qui disent qu’il faut la supprimer ?
A.G. : L’A.M.E. et l’hébergement des demandeurs d’asile, c’est une enveloppe de 2 milliards d’euros par an pour l’État, sachant que 70 % de ces demandeurs d’asile seront au final déboutés. Je ne dis pas que l’A.M.E. doit être supprimée, je dis juste que ces flux, donc ces dépenses, doivent être mieux contrôlés et encadrés. S’il n’y a plus de règle, c’est le désordre !
Càd : Ne pensez-vous pas tout de même que cet épisode fait le lit du R.N. ?
A.G. : Au contraire, quand les sujets ne sont pas traités, c’est le meilleur moyen de faire monter le R.N. Je prends l’exemple du Danemark, que je connais, où un gouvernement pourtant de gauche a pris des mesures similaires de grande fermeté : là-bas, les partis extrémistes plafonnent à 2 % !
Càd : Ne devriez-vous pas attendre fin janvier quand le Conseil constitutionnel aura statué sur la conformité des mesures contenues dans cette loi immigration pour crier victoire ?
A.G. : Nous verrons bien ce que dit le Conseil constitutionnel. Mais c’est bien la preuve que dans cette affaire, le gouvernement louvoie, il souffle quasiment la solution au Conseil constitutionnel. À peine la loi était-elle votée que la Première ministre a commencé à dire que certains points ne seraient peut-être pas conformes à la Constitution. J’estime que tant qu’il ne s’est pas prononcé, il est inutile de faire des plans sur la comète. Souvent les parlementaires s’autocensurent de peur de la censure du Conseil constitutionnel. C’est bien pour cela que nous souhaitons une modification de la Constitution pour que le Parlement reprenne la main. Pour le reste, on verra bien. Je ne pense pas que le Conseil constitutionnel vide cette loi de sa substance.
Càd :Au nom de quoi faudrait-il modifier la Constitution ?
A.G. : Le politique doit reprendre la main. À l’image d’autres pays qui sont mieux armés que nous pour faire valoir leurs positions politiques. Les instances suprêmes comme le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’État peuvent avoir trop de pouvoir par rapport à la décision politique. Savoir que le Conseil d’État a récemment obligé la France à rapatrier à ses frais un Ouzbek condamné pour radicalisation, on marche sur la tête ! Si on ne révise pas ce genre de dysfonctionnements, les Français n’y comprendront plus rien. C’est la raison pour laquelle je prétends qu’il faut sans doute réformer la Constitution pour redonner du poids à la décision politique.
Càd : Revenons à l’esprit de cette loi immigration. Les accusations d’inhumanité formulées par la gauche vous touchent-elles ?
A.G. : La gauche crie à l’inhumanité de ces mesures ? Je dis que c’est tout le contraire. Est-ce que l’humanité consiste à laisser entrer des centaines de milliers de personnes en France pour y vivre dans des conditions indignes ? Est-ce que l’humanité consiste à laisser se développer un système qui fait croire aux gens à une vie meilleure en leur faisant risquer leur vie sur un canot en Méditerranée ? L’asile n’est aucunement remis en cause par ce texte, il n’est même pas concerné. Sur ce point, nous nous devons de traiter plus rapidement et efficacement les demandes car 98 % des déboutés restent sur le sol français. L’asile, c’est le refuge que la France donne aux combattants de la liberté. En aucun cas, ces valeurs ne sont remises en cause par ce texte. Avant de crier à l’inhumanité, il faut savoir ce que contient précisément cette loi. Il y a juste des choses qui ne sont plus possibles. Les mineurs non accompagnés ne peuvent plus être expulsés. Soit. Mais depuis la loi Collomb, ils peuvent faire venir leur famille. À tel point qu’aujourd’hui ce sont les passeurs qui déterminent l’entrée des étrangers sur notre territoire. Ce n’est plus possible !
Càd : La gauche est donc à côté de la plaque et ses critiques hors sol ?
A.G. : Est-ce normal de voir la maire de Besançon Anne Vignot qui avant Noël, organise une conférence de presse au sein même du musée de la résistance et de la déportation en faisant un parallèle indigne et inacceptable avec les années trente ? Cette attitude-là est proprement scandaleuse. Là est l’indignité. Elle n’est pas de demander que les étrangers arrivant en France apprennent notre langue ou de réclamer que les demandes de droits d’asile soient traitées plus rapidement.
Càd : Et votre avis sur la caution demandée aux étudiants étrangers, vous qui étiez enseignante ?
A.G. : Les droits d’inscription différenciés, ça existe déjà dans la loi. La position des universités se base sur des questions purement financières car si un établissement a moins d’étudiants, il aura moins de dotations. L’examen du caractère sérieux des études, Erasmus le prévoit déjà depuis de nombreuses années pour les étudiants européens. Une caution en Allemagne, c’est 11 000 euros. Alors qu’Élisabeth Borne parle de 10 ou 20 euros. Il y a des exonérations prévues en cas de revenus modestes ou en fonction de l’excellence du parcours. La France accueille 100 000 étudiants étrangers par an, il n’est pas anormal non plus qu’on y regarde de plus près en fonction des places et des dotations dans chaque université. De toute manière, idéologiquement, les universités françaises ont toujours été hostiles à tout type de sélection, leur opposition à cette mesure n’est donc pas étonnante.
Càd : L’épisode de cette loi immigration marque-t-il le retour en grâce des L.R., et pourra-t-on un jour vous voir intégrer un gouvernement de coalition ?
A.G. : Il faudra toujours compter sur les L.R.,non pas dans la confusion, mais dans la clarté des convictions. La leçon politique de cet épisode, c’est qu’à 62 députés seulement, les L.R. ont su et pu peser sur le gouvernement. On entend bien continuer à peser de tout notre poids sur la façon dont doit être gouverné le pays.Concernant une entrée au gouvernement, je n’entends pas que le président de la République soit disposé à une quelconque forme de cohabitation ! Tout ce que je sais, c’est qu’on aura plus pesé sur ce texte en agissant en opposants responsables. La politique, c’est la clarté des choix. Le reste, ce ne sont que des conjectures... Comme nous l’avons été sur cette affaire, je pense que les L.R. sont à la hauteur de l’attente des Français. On l’a été clairement. Et même le R.N. ne pourra pas dire le contraire puisqu'il a voté notre loi ! Je pense que ce n’est pour nous qu’une étape sur le chemin des Européennes de juin prochain et de la présidentielle à venir.
Propos recueillis par J.-F.H.