11 de ces ex-mineurs majeurs depuis peu étaient menacés d'expulsion
Épineux dossier que celui des jeunes migrants arrivés mineurs à Besançon. Protégés au titre de l’aide sociale à l’enfance, ils ont pour la plupart suivi une formation, ont cherché à s’intégrer. Majeurs désormais, 11 d’entre eux sont menacés par une obligation de quitter le territoire, promulguée par la préfecture. L'association SolMiRé leur vient aide. D’un coup, ils ont été mis à la rue.
Ils ont souhaité qu’on les prénomme Pierre et Paul pour préserver leur anonymat. Sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF) délivrée par la préfecture du Doubs, Pierre et Paul, rencontrés à la terrasse d’un café au centre-ville, ont déposé un recours auprès de la justice pour rester sur ce sol bisontin qui les accueille depuis deux ans. Ils font partie de ces 11 jeunes majeurs que le Département ne reconnaît plus depuis le 31 août, date de leur fin de contrat.
Guinéens, ils sont arrivés en France en 2018. “C’était le 28 août”, se souvient précisément Pierre. Après le décès de son père, il est accueilli chez un oncle au Sénégal où il explique avoir été maltraité. Comme d’autres, il rêve d’Europe. Le garçon traverse la Méditerranée, accoste en Italie, prend la direction de la France, arrive à Paris puis monte dans un train pour dit-il arriver à un terminus : Besançon. Voilà comment il foule pour la première fois le sol comtois. La suite ? Il est accueilli par le Département du Doubs dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) qui le loge, le protège, le nourrit, l’accompagne via des travailleurs sociaux. Il débute des études dans un lycée professionnel bisontin où il apprend un métier en alternance durant deux ans. Son entreprise lui promet une embauche. “Ses appréciations sont excellentes, il ne fait pas parler de lui comme tous les jeunes qui ont des contrats” relate une bénévole de l’association SolMiRé qui leur vient aide.
"Ils n’ont plus rien à manger. C’est comme si du jour au lendemain ils étaient laissés à l’abandon alors que des milliers d’euros ont été investis !” regrette une bénévole.
Depuis le 31 août et malgré ces pièces versées au dossier, leur contrat est arrêté. Tous sont sous le coup d’une OQTF sonnant la fin de la protection par le Département du Doubs et par conséquent la fin des aides matérielles (logement, nourriture). Le Département (lire ci-dessous) applique une décision préfectorale. “Ils n’ont plus rien à manger. C’est comme si du jour au lendemain ils étaient laissés à l’abandon alors que des milliers d’euros ont été investis !” regrette une bénévole. Pour éviter la rue, il leur est conseillé d’appeler le 115. La réponse ne sait pas fait attendre : plus de place. La Ville de Besançon a expliqué vouloir trouver une solution “le temps de la procédure administrative.” Elle n’a pas fait évoluer positivement le dossier.
Accueillis par des associations qui offrent nourriture ou soutien administratif, ces Guinéens sont restés dans le logement que leur prêtait le Département. Ils ont reçu fin septembre une lettre de la collectivité leur demandant de quitter les lieux avec menace du recours à la force publique. Sans autre solution, ils ont choisi de ne pas partir… avec cette épée de Damoclès nommée “tribunal administratif”. Leur sort sera bientôt scellé. En cas d’expulsion, la France leur aura enseigné une formation d’électricien, de boulanger, cuisinier… mais va les renvoyer.
La réponse du Département
“Ils n’ont pas été lâchés du jour au lendemain”
Le Département dit suivre les directives de l’État. Il a dépensé l’an dernier 11 millions d’euros pour l’accompagnement de ce public, soit 10 % de plus qu’en 2019.
Dans le Doubs, 389 mineurs non accompagnés (moins de 18 ans) sont accueillis par le Département et protégés. Lorsqu’ils passent le cap de la majorité, ces migrants peuvent signer un contrat jeune majeur, procédure qui les engage à suivre une scolarité ou apprendre un métier. Lorsque le contrat se termine, comme notre exemple énoncé plus haut, “c’est ensuite la justice qui décide” tient à rappeler la collectivité qui se défend de tout abandon. 115 contrats jeunes majeurs sont actifs dans le Doubs. “Chacun de ces contrats à une fin (souvent un an). Une fois qu’il est terminé, le dossier n’est plus dans nos mains. Pour le cas de ces jeunes majeurs, le Département a prolongé leur contrat en raison du Covid.”
Durant le confinement, 60 jeunes en attente d’évaluation ont été prolongés jusqu’au 31 août. "C’est un investissement pour que personne ne reparte dans la nature” témoigne Odile Faivre-Petitjean, élue en charge de ce dossier. Pour répondre à la hausse du nombre de MNA arrivant dans le Doubs, le Département a ajusté son budget enfance-famille à la hausse et se défend de tout abandon : “Notre politique n’est pas seulement de leur trouver un lit mais de leur proposer un véritable accompagnement à ces jeunes. Nous avons fait par exemple appel à l’ADDSEA pour augmenter les capacités d’accueil. Ce n’est pas trouver une place d’hébergement qui coûte de l’argent mais le personnel pour les encadrer. Nous sommes dans un département qui accueille bien” argumente la collectivité.
“C’est de l’investissement en formation bafoué et gaspillé”
Conseiller départemental d’opposition, Raphaël Krucien demande de l’humanité et du bon sens : “Le Département du Doubs, sans prendre en compte ces recours et sans attendre leurs issues, va mettre à la rue ces jeunes. Tout l’investissement en formation et intégration des services et des associations est bafoué d’un coup, gaspillé. Je demande l’humanité pour ces jeunes : notre devoir est de les héberger jusqu’à ce que les procédures soient allées au bout. Nous en avons les moyens, faisons-le !” dit-il. L’élu fait référence au budget du Département qui s’est consolidé. Il en appelle à la solidarité.