Hommage à un des grands élus de la Ville de Besançon décédé du Covid à 92 ans
Ancien adjoint sous l’ère Jean Minjoz, c’est lui qui est à l’origine de la piétonnisation du centre-ville de Besançon et du développement du réseau de transport en commun. Nous l'avions rencontré il y a quelques mois pour lui consacrer un portrait dans La Presse Bisontine. Hommage à un homme bon.
Quand nous avions été invités chez lui en début d'année, à 92 ans, André Régani avait encore une mémoire infaillible. Il lui a fallu peu de temps pour retrouver toute sa pugnacité, celle qu’il avait déjà dû employer à l’époque pour convaincre ses pairs, au temps où la bagnole était reine en ville et où on ne se préoccupait pas des questions de mobilité, si présentes aujourd’hui dans les débats. L’ancien adjoint de Jean Minjoz, entre 1965 et 1977, n’avait rien perdu non plus de sa classe ni de sa prestance, malgré le poids des années.
Dans son appartement du quartier des Chaprais, André Régani conservait dans son bureau une partie de l’histoire de la ville. Car la piétonnisation du centre-ville ainsi que le développement du réseau de bus, c’est à lui qu’on les doit. Quand son plan de circulation a été adopté en 1974, Besançon était alors pionnière en la matière, citée en exemple à l’échelle nationale. Pourtant, le plan Régani n’a pas été simple à mettre en place, il a fallu d’abord surmonter une avalanche de contestations venues de tous bords. L’ancien élu raconte : “J’ai découvert les questions de mobilité quand j’ai fait mon armée, j’étais affecté dans un régiment du train. Quand je suis rentré à Besançon, j’ai continué à m’intéresser à ces questions. Il a ensuite fallu convaincre, et d’abord Jean Minjoz.”
L’enfant de Battant passé par les rangs de la Jeunesse ouvrière chrétienne.
Le maire de l’époque, converti au socialisme, avait décidé d’élargir sa base électorale en s’alliant à d’autres formations, et notamment au MRP, un parti centriste auquel appartenait André Régani. Un peu méfiant, Jean Minjoz confie à André Régani après la victoire aux municipales de 1965 quelques délégations peu enthousiasmantes de prime abord, et dont personne ne voulait s’occuper. “Il y avait notamment les pompes funèbres, les marchés et un tas d’autres choses qui n’intéressaient personne. Et parmi ces domaines peu convoités, il y avait aussi les transports. Il ne savait pas que c’était un de mes domaines de prédilection” se souvient M. Régani, l’enfant de Battant passé par les rangs de la Jeunesse ouvrière chrétienne.
L’élu bisontin a donc pris à bras-le-corps cette délégation en commençant par réétudier complètement le réseau de bus alors balbutiant. “En 1965, les bus transportaient 6 millions de voyageurs par an. En 1971 à la fin du mandat, on était à 8,5 millions. J’ai ensuite fait renégocier à la Ville de Besançon le contrat pour qu’elle devienne propriétaire des bus et au cours de ce second mandat au cours duquel tout le réseau a été revu, la fréquentation a triplé, on est passé à 21 millions de passagers !”
C’est au cours de ce deuxième mandat (1971-1977), qui fut le dernier pour Jean Minjoz arrivé aux commandes en 1953, qu’André Régani a déployé le deuxième volet de son plan de reconquête du centre-ville avec la piétonnisation des rues de l’hyper-centre. Une révolution pour l’époque.
Les oppositions ont fusé de toutes parts : de ses amis du MRP, des commerçants du centre-ville, de la population.
Inspiré par ses visites à l’étranger, aux États-Unis et en Scandinavie notamment (Göteborg en Suède a été une source d’inspiration pour lui), André Régani a su convaincre le conseil municipal de la pertinence de rendre aux piétons le centre-ville et de le débarrasser de ses voitures. “Lors de ce deuxième mandat, je n’ai gardé que cette délégation transport mais que j’ai souhaité coupler avec la voirie et la circulation car ces thèmes me paraissaient indissociables. Je me souviens que le plan a été présenté au conseil le 26 janvier 1973 et les premières réalisations ont été faites l’année suivante.” Non sans mal...
"J’en ai pris “plein la gueule”, mais je n’ai pas lâché.”
Les oppositions ont fusé de toutes parts : de ses amis du MRP, des commerçants du centre-ville, de la population. “Besançon avait été déclarée comme ville pilote en matière de circulation et le ministère cherchait une ville pour mener une telle expérience au bout. Nous avons bénéficié de fortes subventions, ce qui nous a finalement aidés à convaincre. Mais pendant des mois, j’en ai pris “plein la gueule”, mais je n’ai pas lâché” se remémorait le nonagénaire.
Le nouveau plan de circulation et la piétonnisation sera inauguré en 1975. Quarante-cinq ans plus tard, qu’en reste-t-il ? “Pas grand-chose” déplorait en début d'année André Régani. “Robert Schwint, le successeur de Jean Minjoz en 1977 a jugé qu’on en avait déjà assez fait pour les transports et la circulation. C’est sans doute sa principale erreur de jugement” estimait M. Régani avec le recul. “Quand on a dix ans d’avance comme c’était le cas pour Besançon, il était nécessaire de revoir les choses tous les ans pour garder ces dix ans d’avance. Hélas, ça n’a pas été fait ainsi” ajoutait avec lucidité l’ancien élu qui reconnaît au précédent maire Jean-Louis Fousseret d’avoir “su relancer la dynamique avec le tramway. Mais on n’a pas pu rattraper les trente ans de retard que nous avions pris.”
Un visionnaire sur les derniers candidats aux municipales ?
Sous ses deux mandats d’adjoint, André Régani avait même conçu l’évolution de son plan de circulation avec le creusement du tunnel sous la Citadelle que Robert Schwint finira par réaliser quinze ans plus tard. Mais entre-temps, les subventions de l’État s’étaient envolées… “Le problème, c’est qu’on a laissé partir les gens habiter de plus en plus en loin de Besançon et qu’il faut désormais les desservir avec du transport en commun. On a pris les choses à l’envers” déplorait encore André Régani qui suivait toujours avec un œil gourmand, cinquante ans après, les soubresauts de la vie politique locale. Il jugeait les débats opposant les candidats en lice pour les dernières municipales “beaucoup trop démagogiques. Je n’ai pas encore vu le bon candidat…” soupirait-il sans jamais se départir de son air bienveillant. Un visionnaire ?