Elle est un peu la gardienne de la mémoire ouvrière de la Ville. Gestionnaire bénévole de la bibliothèque de la Rhodiacéta depuis 1989, Annie Verdy veille au maintien de ce fonds, riche de plus de 10 000 livres, créé par les ex-salariés de l’usine.

C’est l’une des dernières traces de l’époque de la “Rhodia”. Un symbole d’éducation populaire et d’accès à la culture, qui a accompagné pendant de nombreuses années les ouvriers employés dans l’usine textile et leur famille.

Aujourd’hui encore, enfants et petits-enfants des anciens de la Rhodia fréquentent les lieux, en quête d’un roman, d’un ouvrage historique ou régional. Il faut dire que les références ne manquent pas. D’Hemingway à Malraux, en passant par Ken Follett, les prix Nobel de littérature (de 1901 jusqu’en 1969), ou les séries jeunesse de la Bibliothèque verte, il y en a pour tous les goûts. “Si je ne vois plus d’enfants aujourd’hui, je reçois parfois des étudiants qui viennent chercher quelque chose de très précis qu’ils ne trouvent pas ailleurs”, remarque Annie Verdy.

Annie Verdy continue de tenir à jour les registres manuscrits et les 10 000 références de la bibliothèque.

Cette bibliothèque, peu connue des Bisontins, possède notamment un riche fonds historique et continue d’étoffer, chaque année, sa collection de livres récents grâce à des dons. Ouverte à tous chaque mardi et mercredi après-midi (contre une adhésion annuelle de 8 euros), elle a pris place dans un petit local de 50 m2, avenue de Chardonnet, après avoir été hébergée dans différents bâtiments. Elle accueille un public réduit mais fidèle d’une trentaine d’abonnés. La surface restreinte, mise à disposition par la Ville, ne permettrait de toute façon “pas vraiment d’en accueillir plus”, concède Annie, qui espère voir s’étendre un jour ce local. Plus de 10 000 ouvrages, revues et vinyles occupent ici les rayonnages. Un foisonnement culturel hérité des années ouvrières de la Rhodia.

“Tout a commencé en 1966 avec une dotation du cabinet de lecture des cadres”, explique Annie Verdy. “Le comité d’entreprise (C.E.) a décidé de créer une bibliothèque dans la suite de la grève de février 1967. L’usine avait été occupée un mois. C’était devenu une vraie maison pour tous avec du théâtre, de la lecture...” Annie n’intégrera, elle, la Rhodia qu’à l’automne 1968 mais choisira très vite d’y participer. Elle se rappelle même avoir pris plusieurs fois sur ses congés pour venir tenir les permanences. “C’était une forme de militantisme pour moi. Donner accès à la culture reste essentiel aujourd’hui encore.” Cette ancienne ouvrière et militante syndicale se souvient avec émotion de cette époque. “La bibliothèque fonctionnait dès 4 heures du matin, pour s’adapter aux rythmes des 3 x 8”, indique-t-elle. “Il y avait un vrai besoin avec plus de 3 000 salariés. Certains venaient avec leur liste d’ouvrages à emprunter pour leurs enfants à l’école.”

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De sa carrière à l’usine, elle conserve surtout des souvenirs heureux, même si elle reconnaît que “c’était dur et pénible physiquement.” Il y avait les horaires astreignants, mais aussi “les conditions de bruit et de chaleur.” La jeune femme qu’elle était retient également l’image “de ces ateliers remplis de bonshommes.” “J’ai appris à vivre à la Rhodia”, lâche-t-elle au détour de la conversation. “J’y ai découvert des amitiés fortes et de l’entraide.” Ce qui la pousse sans doute, aujourd’hui encore, à conserver ce patrimoine de la bibliothèque vivant. La structure, qui est restée fermée un temps à l’arrêt du textile et au moment des mutations, a rouvert à la fin des années quatre-vingt. Elle en a alors pris la charge avec l’accord du C.E., pour faire perdurer l’histoire.

“Je n’ai pas eu la chance d’avoir pu faire des études secondaires. À l’époque, on partait travailler à 16 ans, mais j’ai toujours lu.” Aujourd’hui, Annie met à disposition, y compris, ses propres livres (François Ruffin, Yasmina Khadra...) et tente de faire sortir de “leur ronron de lecture” ses visiteurs. Cette consommatrice de théâtre, par ailleurs, reste attachée à la transmission culturelle. Elle aimerait inscrire dans le temps cette bibliothèque, qu’elle porte à bout de bras. Temporairement fermée au printemps dernier à cause de travaux de réfection du toit, elle avait pu continuer de tenir des permanences au sein de la nouvelle Rodia (la scène voisine de musiques actuelles). Un joli clin d’œil à l’histoire, qui a permis de faire le lien entre passé et présent.


Cet article vous est proposé par la rédaction de La Presse Bisontine
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