Laurent Thinès a été récompensé pour son œuvre engagé "La garde de nuit".
Professeur de neurochirurgie au CHU de Besançon, Laurent Thinès raconte dans un recueil de poésie la descente aux enfers d’un médecin hospitalier écrasé entre charge de travail et charge mentale. Son ouvrage, quasi autobiographique, a reçu un prix.
Professeur de neurochirurgie au CHU de Besançon, Laurent Thinès raconte dans un recueil de poésie la descente aux enfers d’un médecin hospitalier écrasé entre charge de travail et charge mentale. Son ouvrage, quasi autobiographique, a reçu un prix.
Laurent Thinès s’est fait un nom. D’abord dans son domaine : la neurochirurgie. Ensuite chez les gilets jaunes comme défenseur des personnes défigurées par les tirs de flash ball. Et maintenant dans le monde de l’édition.
Chef de service de neurochirurgie à Minjoz, le professeur a reçu en début d’année le prix Suzanne Raffle de Chevaniel du récit épique 2020 pour son recueil de poésie intitulé “La Garde de nuit” (Réparer les soignants), où il retrace la descente aux enfers d’un médecin hospitalier écrasé par la charge de travail puis écartelé entre vœu d’hospitalité et course à la rentabilité. Au-delà de ce prix remis par des médecins à un médecin, ce travail soulève la question de la vie des soignants. Un texte engagé articulé autour de la métaphore médiévale. Une façon pour le chirurgien de montrer qu’il est un serf, inféodé à un système.
“J’ai été touché par le suicide de deux ex-collègues.”
La Presse du Doubs : Ce n’est pas votre premier ouvrage. En revanche, c’est votre premier prix. Est-ce le style ou le message engagé qui a payé ?
Laurent Thinès : Cette reconnaissance de la communauté médicale me fait chaud au cœur. Ce sont surtout des textes qui parlent aux médecins hospitaliers car certains se reconnaissent. J’ai choisi l’univers médiéval dans ces poèmes car il représente dans son organisation, sa hiérarchie, sa violence, le monde hospitalier.
LPDD : Vos mots sont durs…
LT : C’est notre quotidien. Le syndrome de l’épuisement professionnel touche beaucoup de médecins hospitaliers. 50 % d’entre eux sont en burn-out et 80 % ont connu un épisode de burn-out dans leur carrière. Ce texte montre la réalité de la vie des soignants où nous luttons contre des moulins à vent avec de moins en moins de personnel, de moins en moins de moyens. C’est un monde violent où nous sommes confrontés à la mort, où l’on ne peut parfois pas prendre la main d’un patient en fin de vie par manque de temps. Ce sont des situations difficiles, sans reconnaissance.
LPDD : Fait-on ce métier pour obtenir de la reconnaissance ?
LT : Non, évidemment, mais on a besoin de se sentir soutenu car nous vivons dans un monde parallèle qui peut nous emmener sur une pente glissante à cause de la surcharge de travail, des liens familiaux que l’on peut perdre. Il m’arrive parfois d’entrer au bloc de nuit et de ressortir le soir sans avoir vu la lumière du jour.
LPDD : La pente glissante dont vous parlez, est-ce le suicide ?
LT : Deux de mes collègues chirurgiens, âgés à peine de 50 ans, se sont donné la mort. L’un était en chirurgie digestive à Lille, un autre était un neurochirurgien comme moi. Il s’est suicidé sur son lieu de travail. Ce texte que j’ai commencé d’écrire en 2016 m’a permis de verbaliser ce que je vis, de cicatriser, de passer le cap.
LPDD Savez-vous si la direction de l’hôpital l’a lu ?
LT : Non, je l’ignore. Je n’ai pas eu de retour si ce n’est ceux de collègues.
LPDD : Lors de la première vague, vous vous êtes porté volontaire pour aider aux urgences. Qu’avez-vous pensé des messages de “héros” ?
LT : L’héroïsation vous enjoint à faire des choses. Aujourd’hui, ce qu’il manque, c’est une reconnaissance en moyens et en salaires pour toutes les professions car des soignants continuent de quitter le monde hospitalier.
Propos recueillis par E.Ch.
"La Garde de Nuit"
Aux éditions Z4
Disponible à la librairie L’Intranquille et aux Sandales d’Empédocle
à Besançon