L’origine du patois de la Franche-Montagne est très lointaine et quasiment impossible à dater. C’est un mélange de vieux français, de franco-provençal et d’allemand, mâtiné d’un peu d’italien
Pour Claude Cattin, c’est bien la première guerre mondiale qui a porté un coup fatal aux patois parlés dans nos régions de France. “3,9 millions d’hommes furent mobilisés et si tout le monde devait s’exprimer en patois, ç’aurait été une invraisemblable cacophonie”, note-t-il.
Restés au front pendant et le patriotisme aidant, ils abandonnèrent leur langage régional au profit du français commun. Les femmes et les générations non mobilisables permirent à ces parlers locaux de survivre encore un peu. C’est particulièrement le cas de l’autre côté de la frontière, en Ajoie, non concerné par les deux guerres mondiales du XXème siècle. Il n’est pas rare d’entendre encore des anciens échanger en patois. “À Porrentruy le Chanoine OEuvrey l’utilisait encore pour ses homélies, il y a encore quelques années”, se souvient Claude Cattin, qui a appris le patois en écoutant ses oncles et tantes quand il était gamin. Il se remémore l’anecdote du gosse qui rentre de son premier jour d’école et dit à son père : “Enn comprend ran, djasan pai ïn frinçais (je n’y comprends rien, ils ne parlent pas français).”
Le patois franc-comtois sous ses différentes formes fut largement servi et valorisé par la “Crèche Comtoise” depuis le XVIIIème siècle. Initialement créée par un marionnettiste, ce spectacle raconte l’histoire du Barbizier et de sa femme la Naitoure, entourés de comparses vignerons bousbots (du quartier Battant à Besançon). Apprenant la naissance du Christ, ils partent pour adorer l’enfant Jésus et rencontrent tout un aréopage de personnages hétéroclites.
Cette forme de théâtre populaire fut un véritable outil pour la vitalité des divers patois de notre région. L’extrait proposé ci-dessous provient d’une adaptation assez singulière, jouée le 15 février 1987 à Saignelégier, par une troupe de Maîche. “On ne peut pas parler du patois de chez nous sans faire référence à Maurice Grammont né le 15 avril 1866 à Damprichard”, poursuit Claude Cattin.
Ce linguiste, attiré par les premiers pas de la phonétique, enseigna de longues années à l’Université de Montpellier. Il est l’auteur d’un livre très érudit publié en 1901 : “Le patois de la Franche-Montagne et en particulier de Damprichard.” Cet ouvrage fait toujours référence de nos jours pour les quelques patoisants s’intéressant toujours au sujet.
Infatigable défenseur de nos traditions, Claude Cattin travaille à un glossaire patois-français. “Tous ces parlers locaux ont fait la richesse culturelle et la diversité de la France. Certaines langues régionales survivront mais beaucoup disparaîtront avec ma génération”, regrette-t-il.
Ci-dessous, ce texte original en patois est signé d’Abel Bernardot (1925-2015) de Maîche, ardent défenseur du patois régional. La traduction est assurée par Claude Cattin.
Évingile de l’Octave de lai féte de Goumois
Jésus étâ veni â monde ai Bethléem de Goumois, dïn l’étôle di bouardgie Pécaroro, dïn l’onnâe quairinte de notre siècle. En aittodin lai fin de l’huvâ, Djoset tchaipusâ ai l’heutô, pouo répairâ lâ râtelies, di temps que sai fonne filâ lai laine dâ brebis pouo fâre dâ tchôsses ai son offin. Eunne neû que Djoset dremâ, l’angiotte Gabriel vïn lou voûre et y dia : “Djoset, ai ne te fô pai demeurâ iqui. In grind malheur airrive dain lai Gaule. Ton offin n’ô pai iqui in sécurité. Voiqui que las Teutons, coumindâ pai ïn fô de lai téte que vïnt de tchie lâz’Ostrogoths, que veut aipiaiti lai planète sous sai botte, in déchéri lai gâre ai lai Gaule, et las soudâs ô tchaipé pontu son djé dïn lai banlieue de Lutèce. De pus, ce fô d’Adolf veut détrure tous làs offins d’Abraham.” “Djoset, ai te fô paitchi. Prend l’offin et sai mère, pésse ai Goumois tchie lou Grind-Prêtre Maxime, traivôche lou Doubs et vai aidet te loudgle tchie làs Poilies di Neurmont, dïn lou pays dâs Hélvètes. Iqui, te ne risque pu ran.” Voiqui Djoset paitchi. Lou Grind-Prêtre Maxime, qu’étâ bïn omintchie daivô làs douanies, péssa lou pont d’aivo Djoset, Mairie et l’offin qu’étïn montâ su l’âne. En airrivin su lou Piaité d’aivo l’âne, Djoset aiva bïn dâ mô pouo péssâ. C’étâ lai grinde féte di Marché-Concouo de Saignelédgie. Lou gâdge municipô, dïn son bé haibit di dûmonde, dia ai Djoset : “Laivou vai-te, d’aivo ton bourricot ? Audj’heu, sô lai féte di tchevô, las’ânes n’in ran ai y fâre !” Djoset y dia : “Y m’en vai tchie làs Poilies di Neurmont. Sô dînsse que l’ai coumindâ lou Seigneur Due.” “Qu’ô-ce que te vai foutre tchie làs Poilies ?”, dia lou gâdge. “Te vois bïn que ton bourricot n’en peut pu ! Qu’ôce que te fâ cmo métie ?” “Y seu tchaipus”, dia Djoset. “Eh bïn, te tchoua bïn ! Voiqui djeute not’Frédy qu’ai fôte drin ouvrie ! Ai te fô ailla tchie lu.” Sô dînqui que Djoset demouerrai tchie Frédy lou tchaipus, daivô sai fonne et l’offin. C’étâ lou premie ouvrïe frontalie. Aipré que lai gâre sâ finie, Djoset, qu’aivâ quasi l’âge de lai retraite, revïn dïn son pays, en péssin pai ïn âtre chemin.
Évangile de l’Octave de la fête de Goumois
Jésus était venu au monde à Bethléem (N.D.L.R. : ferme isolée) de Goumois, dans l’étable du berger Pécoraro, dans l’année quarante de notre siècle. En attendant la fin de l’hiver, Joseph menuisait à la maison pour réparer les râteliers, alors que sa femme filait la laine des brebis pour faire des chaussettes à son enfant. Une nuit que Joseph dormait, l’ange Gabriel vint le voir et lui dit : “Joseph, il ne faut pas demeurer ici : un grand malheur arrive dans la Gaule. Ton enfant n’est pas en sécurité. Voici que les Teutons, commandés par un fou de la tête qui vient de chez les Ostrogoths, veut aplatir la planète sous sa botte, en déclarant la guerre à la Gaule. Et les soldats au chapeau pointu sont déjà dans la banlieue de Lutèce. De plus, ce fou d’Adolf veut détruire tous les enfants d’Abraham.” “Joseph, il te faut partir. Prends l’enfant et sa mère, passe à Goumois chez le Grand-Prêtre Maxime (N.D.L.R. : abbé Maxime Cattin, curé de Goumois, pendant la seconde guerre mondiale), traverse le Doubs et va aussi te loger chez les Poillies (N.D.L.R. : surnom des habitants) au Noirmont, dans le pays des Helvètes. Là tu ne risques plus rien.” Voici Joseph parti. Le Grand- Prêtre Maxime, qui était bien emmanché avec les douaniers, passe le pont avec Joseph, Marie et l’enfant qui était monté sur l’âne. En arrivant sur le plateau avec l’âne, Joseph avait bien du mal à passer : c’était la grande fête du Marché-concours de Saignelégier. Le garde municipal, dans son bel habit du dimanche, dit à Joseph : “Où vas-tu avec ton bourricot ? Aujourd’hui c’est la fête du cheval, les ânes n’ont rien à y faire.” Joseph lui dit : “Je m’en vais chez les Poillies du Noirmont. C’est ainsi que l’a commandé le Seigneur Dieu.” “Que vas-tu foutre chez les Poillies ?”, dit le garde. “Tu vois que ton bourricot n’en peut plus ! Que fais-tu comme métier ?” “Je suis charpentier”, dit Joseph. “Eh bien, tu tombes bien ! Voici juste notre Frédy qui manque d’un ouvrier. Il te faut aller chez lui.” C’est ainsi que Joseph demeura chez Frédy (N.D.L.R. : Alfred Oberli) le charpentier, avec sa femme et l’enfant. C’était le premier ouvrier frontalier. Après que la guerre fut finie, Joseph, qui avait presque l’âge de la retraite, revint dans son pays en passant par un autre chemin.