En matière d’atteintes environnementales, les lanceurs d’alerte, souvent les associations de protection de la nature ou animale, maintiennent leur vigilance pour que toute atteinte à l’environnement soit sanctionnée. Le Pôle régional de l’environnement du Parquet de Besançon, juridiction qui tient une audience au moins deux fois par an, veille aussi au grain. Comptes rendus d’audience et reportages sur le terrain.
Un élagage trop intrusif et sans autorisation
Deux fois par an, le tribunal judiciaire de Besançon instruit une audience environnementale. Le 29 novembre dernier, une affaire d’élagage non autorisé ayant entraîné l’altération et la destruction d’habitats d’espèces protégées a été source de longs débats.
Ce jour-là, les bancs de la salle d’audience correctionnelle sont particulièrement remplis. Les affaires d’atteintes environnementales génèrent souvent un nombre de parties civiles, bien souvent des associations, élus ou particuliers qui ont tiré la sonnette d’alarme sur un méfait. Pour l’affaire qui est appelée à la barre, c’est un élu qui a prévenu les agents de l’O.F.B. (Office français de la biodiversité). Sur sa commune, il constate des travaux d’élagage proches d’une ligne électrique. Le problème ? Les travaux se déroulent en juin, en pleine période de nidification. Ce qui est normalement strictement interdit. Sur place, les policiers de l’environnement font des repérages à vue et à chant de plusieurs espèces protégées… comme le moineau domestique, les mésanges bleues, charbonnières, etc. La liste citée par le président du tribunal Guillaume de Lauriston est longue. Les agents repèrent aussi des milans royaux qui volent.
À la barre, ce vendredi 29 novembre, sont donc appelées deux sociétés, l’une prestataire en élagage de la seconde, une importante entreprise dans le domaine de l’énergie. Il leur est reproché sans aucune dérogation administrative d’avoir en 2019 altéré ou détruit l’habitat d’espèces protégées. La commission de protection des eaux, la L.P.O., la F.N.E. et l’A.S.P.A.S. se sont portées parties civiles aux côtés de la commune. Tout l’enjeu qu’a essayé de déterminer le président du tribunal Guillaume de Lauriston est de savoir qui des deux entreprises aurait dû demander la dérogation. Le prestataire ou le commanditaire ? Car le fait d’avoir élagué haie, bosquets, et arbres sur 6 km de ligne électrique n’a pas été remis en cause.
L’entreprise dans le domaine de l’énergie a une obligation de sécurité de la population qui la contraint à élaguer la végétation pour éviter qu’elle ne touche la ligne électrique, et ce même en période de nidification, ce qui est strictement interdit pour les agriculteurs notamment ou les receveurs de la P.A.C., comme l’a précisé le président du tribunal. Mais une autorisation administrative était nécessaire. L’entreprise d’élagage argue le non-classement de la zone concernée en Natura 2000 ou Z.N.I.E.F.F. Autre levier actionné, l’urgence face à un danger immédiat de risque d’arcs électriques, ce qui justifierait l’absence de dérogation. Pour Guillaume de Lauriston, la notion d’urgence n’est pas caractérisée. Le commanditaire, lui, avance l’absence d’obligation, à l’époque, d’identification des espèces protégées.
Pour l’avocat de la L.P.O. Maître Liard, “les deux acteurs se renvoient mutuellement la responsabilité, les deux n’ont pas pris le temps ni la mesure des espèces protégées, on intervient à l’aveugle, peu importe la préservation des espèces.” Il souligne également la volonté de l’entreprise de travailler avec les entreprises pour la pédagogie et la sensibilisation. Il demande 10 000 euros de préjudice moral car “tout le travail des bénévoles est sapé” et exige aussi des réparations écologiques par des nouvelles implantations. La commission de protection des eaux demande également la réparation du préjudice écologique, elle estime que la responsabilité du commanditaire des travaux est supérieure à celle du prestataire, et demande 2 500 euros de dommages et intérêts.
Le procureur Lucas Maillard-Salin, référent du Pôle régional de l’environnement depuis septembre, réfute la relaxe des prévenus. “On est sur une infraction de conséquence qui vise la dégradation du milieu. L’entreprise (qui commande les travaux) a les moyens humains et financiers de mettre en place certaines choses comme la demande de dérogation. L’absence totale de faits justificatifs demande que l’un et l’autre prévenus soient reconnus responsables.” Le procureur requiert 20 000 euros d’amende pour l’entreprise dans le domaine de l’énergie qui a par ailleurs plusieurs mentions à son casier judiciaire, 5 000 euros pour la seconde assortis de 3 000 euros de sursis, la remise en état des terrains et la publication du jugement dans un journal.
Maître Petitjean, conseil de l’entreprise d’élagage, tente de dédouaner son client de la responsabilité. “Mon client a été pris en otage, il est poursuivi comme auteur principal. Or, le donneur d’ordres peut être auteur principal, selon la jurisprudence. On n’a pas à lui demander des dérogations, c’est comme poursuivre un maçon qui n’a pas vérifié qu’il y avait bien un permis de construire.” Elle plaide la relaxe de son client, et si le tribunal entre en voie de condamnation, de ne pas l’inscrire sur le casier judiciaire, vierge pour l’heure, de l’entreprise. Cela lui nuirait en cas de commandes de marchés publics. Maître Zannou, avocat de la seconde entreprise, fait appel à la rigueur juridique car pour lui, l’entrée en voie de condamnation porte sur des choses autorisées. Il demande la relaxe de son client. Le tribunal rendra sa décision le 14 février à 8 h 30.