Les commémorations ont démarré fin août à Morteau, elles se poursuivent dans d’autres communes du Haut-Doubs encore ces prochaines semaines. S’il ne reste que de très rares témoins de cette période, photos et archives sont encore nombreuses pour témoigner de la puissance de ces jours de fin d’été 1944 qui ont permis à notre secteur de se libérer du joug allemand. Cet anniversaire est l’occasion de regarder dans le rétroviseur et rappeler, à l’appui des récits, des témoignages et des photos de cette époque, que le travail de mémoire reste essentiel pour éclairer l’avenir. Un dossier historique et mémoriel.

Revivez l’épopée de la Libération de Morteau

Il y a 80 ans, le Val de Morteau était libéré du joug allemand. Le récit est inspiré de deux ouvrages de référence : “La Résistance dans le Haut-Doubs” de Mireille Barbier et “Le Val de Morteau sous l’occupation” de Bernard Vuillet.

L’atmosphère de cette fin août résonne d’un frémissement d’impatience. Dès le 24 août au soir, le territoire du secteur “Doubs-Frontière” est entièrement libéré grâce à l’action des résistants. En cette période de débâcle de l’armée allemande, les états-majors craignent des représailles contre les populations civiles. Aussi, dans l’attente de l’arrivée des troupes alliées, la consigne de ne déclencher aucune action contre l’armée ennemie est passée par le lieutenant-colonel Lagarde, commandant le secteur “Groupe Frontière”.

Le 5 septembre à Morteau devant La Poste actuelle, des soldats africains qui ont défilé dans Morteau pour fêter la Libération (photo Maurice Lambert).

En ce début d'après-midi du 24 août 1944, en l’absence de leur chef Batelier, les résistants montent un plan d’attaque de la garnison de Morteau. Cette libération de Morteau, qui par la suite, va susciter des polémiques, apparaît donc comme un vaste mouvement de la base, un élan irrésistible soutenu par un enthousiasme et une foi sans borne, alimenté par un sens de l’aventure propre à la jeunesse ainsi que, peut-être, par un soupçon d’inconscience.

Au soir du 23 août, le dîner commun des maquisards se déroule dans un climat de tension, de colère sourde. Les maquisards qui sont présents à la Faye, entre Les Fournets et Grandfontaine-Fournets, sont ceux qui n’ont pas été retenus pour participer au parachutage de Lemuy. Aussi éprouvent-ils un sentiment de frustration. L’inaction et l’interdiction d’attaquer les forces ennemies commencent à peser. De plus, cette frustration se double d’une certaine inquiétude : grâce au système d’écoutes téléphoniques mises en place au col du Tonet, entre Gilley et Orchamps-Vennes, les résistants ont intercepté un message qui indique le prochain mouvement des forces allemandes de Morteau en direction de Pontarlier afin de renforcer le dispositif de sécurité de cette ville. Le secteur serait donc libéré de la présence allemande mais sans que les maquisards y soient pour quelque chose.

C’est dans cette atmosphère morose que la B.B.C. annonce la libération de Paris. Une fois la stupeur passée, la frustration et la colère laissent place à l’émotion et à la joie. Dans l’euphorie générale, il est décidé d’organiser une expédition dans les villages voisins à seule fin de laisser éclater sa joie et de faire sentir à la population la présence de la Résistance. Dans chaque village, les résistants tirent une salve aux monuments aux morts, font carillonner les cloches. La population, tirée de son sommeil, ne comprend pas et croit à une manifestation des miliciens, sauf à Villers-le-Lac où les maquisards s’attardent afin de boire un verre à l’hôtel de l’Union et bavarder avec la population.

Aussi le lendemain, un groupe de six maquisards reprend l’itinéraire de la veille afin de dissiper le malentendu et de rencontrer la population. Cette sorte de communion entre la population et les maquisards atteint son apogée lors du passage des résistants à Morteau. Cette joie, cette ivresse que les résistants savourent un instant, attablés à la terrasse de l’hôtel du Pont constituent sans aucun doute le déclic qui favorise la décision d’attaquer dans l’après-midi. Attaquer Morteau signifie concentrer son attaque sur la Kommandantur qui a pris place dans la villa Bougaud, à gauche à la sortie de Morteau en direction de Villers-le-Lac.

Le 24 août 1944, jour de la Libération de Morteau, des prisonniers allemands sur un camion (photo Marcel Curtit).

Une trentaine de maquisards font donc mouvement sur Morteau depuis le maquis. Arrivés sur Morteau, les maquisards se divisent en trois groupes : un groupe se dirige depuis l'Hôtel de Ville sur la villa et fait deux prisonniers en chemin, ce groupe est chargé d’attaquer la villa de front. Un autre groupe va prendre la villa à revers, dessinant ainsi une manœuvre d’encerclement, tandis qu’un troisième groupe reste en couverture.

Le 24 août également, des prisonniers allemands devant la boulangerie Mareine (Photo Junod).

Le groupe qui attaque la villa de front est rejoint par Batelier, rouge de colère devant le mouvement de désobéissance collective de ses maquisards. Cependant, il décide de faire profiter ceux-ci de ses connaissances militaires. Le combat s’engage, les combattants sont fixés sur place par le tir de la mitrailleuse du capitaine allemand Hoffmann installée sur le toit d’une dépendance de la villa. Rien de décisif ne sortant de l’affrontement, Batelier tente par deux fois d’entamer des pourparlers en vue d’une reddition, pourparlers menés en partie par Gilbert Jacquet alias Legosse, dix-sept ans depuis quelques jours, et qui n’ont pour résultat que l’effondrement de Robert Dodane, blessé au cuir chevelu. Le tir reprend jusqu’à ce que le capitaine Hoffmann s’affaisse, gravement touché. Les trente-sept Allemands occupant la villa se constituent alors prisonniers.

La population, qui a assisté de loin au combat, envahit alors les rues et la villa, entravant ainsi le bon déroulement des opérations. S’ensuit une période de confusion et de flottement. Les prisonniers sont emmenés sous escorte à l'Hôtel de Ville, les habitants menaçant de les lyncher. Plus tard, une altercation a lieu entre des F.F.I. et des Allemands dissimulés en contrebas de la route Morteau-Villers-le-Lac. André Bettoni est blessé et devra subir une amputation des cinq orteils au pied droit. Du côté allemand, on compte trois blessés dont un mortellement ainsi que des prisonniers.

Vers 17 heures, la situation se décante et il est décidé de se rendre à Villers-le-Lac. Les résistants prennent place à bord des véhicules. Partis une trentaine du maquis, ils voient leurs effectifs renforcés de nombreuses bonnes volontés. Arrivés à Villers, ils prennent contact avec les résistants locaux qui ont procédé à des barrages et ont arrêté l’Oberleutnant Bodenberg. Les combattants font route en direction des Pargots. Là, ils réitèrent une manœuvre d’encerclement de la douane, sans succès, ni combat aucun. Les douaniers sont passés en Suisse.

Reste encore la garnison du Col des Roches et le sanatorium des Genévriers. Aimé Schmuck, qui parle couramment allemand, est envoyé au sanatorium afin de négocier une reddition. Si ces négociations échouent, des équipes de sabotage sont déjà en place en vue de couper toute arrivée d’eau et de ravitaillement. Il est décidé que les douaniers du Col se replieront en Suisse avant le 25 août à 7 heures, soit le lendemain matin. Et pour les effectifs du sanatorium qui se chiffrent à deux cents personnes dont cent cinquante sont valides, le principe du transit à travers la Suisse est discuté avec les autorités helvétiques qui donneront leur accord dans la journée du 25 août. Le transfert doit donc avoir lieu le 26 août, et il est admis que les résistants vont fournir les camions pour le transport de la garnison, de Villers-le-Lac jusqu’au col des Roches.

La libération de Morteau et Villers-le-Lac se soldera par quatre blessés allemands dont deux mortellement et quarante-deux prisonniers. Du côté résistant, on déplore deux morts, cinq blessés et quatre prisonniers. Le matin du 25 août, conformément aux accords passés la veille, les douaniers sont internés en Suisse. Le 26 août, c’est au tour de la garnison du sanatorium et des prisonniers de passer en Suisse. Conformément à la Convention de Genève, la garnison ne peut être désarmée, devant transiter en Suisse avec ses armes.

Si les maquisards qui ont libéré Morteau sont partis du maquis de la Faye avec un effectif qui se montait à une trentaine de personnes, dans la nuit suivante, ils reviennent à cent quatre-vingts. Et les effectifs ne font que gonfler chaque jour par l’addition de toutes les bonnes volontés tardives. Aussi, par mesure de sécurité, est-il décidé de transférer le maquis sur les hauteurs de Montlebon.

Morteau est l’une des premières villes de Franche-Comté à être libérée et cela pose un problème. En effet, l’Armée régulière est encore loin, et les Allemands sont encore présents partout, notamment à Pontarlier et au Camp du Valdahon où huit habitants ont été fusillés le 27 août.

Le 5 septembre, peu avant midi, le Colonel François de Linarès fait son entrée dans la ville, à la tête du 3ème régiment de tirailleurs algériens. Les habitants se sont rassemblés dans les rues de la ville et laissent éclater leur joie. Ils attendaient les Américains, et ce sont des Français qu’ils accueillent. Ce régiment, composite, a été formé en Afrique du Nord et débarqué le 15 août en Provence.

La population accourt de tous les villages du Val. Tous se pressent sur les trottoirs de la ville pour acclamer le cortège interminable de Jeeps, motos, camions et blindés, chargés de soldats. La foule acclame à son arrivée le Colonel Alphonse Goutard, commandant l’ensemble de la colonne. Pour un temps, Morteau se transforme en base arrière de l’armée.

Pendant tout l’après-midi, les troupes de l’Armée d’Afrique et les Alliés venant de Pontarlier, libérée la veille, traversent d’une manière ininterrompue le Val de Morteau et se dirigent en direction de Maîche et de Pont-de-Roide, où va s’établir une ligne de front durant plusieurs mois. Le 24 septembre 1944, venant de Besançon et se rendant à Maîche, le Général de Gaulle, accompagné des généraux Koenig et de Lattre de Tassigny, s’arrête à Morteau et passe en revue une section de la 1ère Armée.

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