Il y a quelques semaines, François Molins, magistrat désormais à la retraite, connu comme le procureur ayant géré la vague d’attentats depuis 2012, était à Besançon. Devant les étudiants du master droit pénal et sciences criminelles, dont il est parrain de la promotion, il a livré une conférence sur l’état de droit.
C’est-à-dire : François Molins, aujourd’hui à la retraite, vous avez été magistrat pendant près de 46 ans. Après la sortie du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau dans les médias, décrétant que « l’état de droit n’est ni intangible ni sacré », doit-on craindre pour l’état de droit ?
François Molins : Vous savez ce qu’on dit en latin ? Verba volant, scripta manent (les paroles s’envolent, les écrits restent, N.D.L.R.). L’état de droit existe en France. Il ne peut pas y avoir de système démocratique qui ne soit pas fondé sur un état de droit. L’état de droit est immuable. L’état du droit, c’est autre chose, il peut s’adapter. Il peut coller à l’évolution de la société. Bien sûr que le droit doit changer. Mais derrière les propos des politiques, dans leur esprit, il y a une forme de confusion entre état de droit et état du droit. Il ne faut pas confondre état de droit et état du droit. Pour rappel, l’état de droit est le socle de règles supérieures qui constituent le fondement de notre démocratie.
Càd : Au moment de partir en retraite, la presse nationale vous avait qualifié de « héraut de la justice moderne. » Quel regard portez-vous sur votre carrière et l’évolution de la justice ?
F.M. : J’ai eu un parcours long, difficile. J’ai eu des dossiers très compliqués, j’avais un côté un peu chat noir. Je suis heureux d’avoir exercé un métier qui m’a passionné au Parquet. Pourtant, étudiant, mes matières préférées étaient le civil et le commercial. Pendant toute ma carrière, j’ai toujours cultivé une certaine liberté de ton, d’indépendance. Je me suis toujours autorisé et même contraint à dire ce que je pensais. J’ai lutté quand ce en quoi je croyais était menacé, comme l’indépendance de la justice ou l’état de droit.
Càd : C’était donc important pour vous de donner cette conférence aux étudiants. Pourquoi avoir accepté de parrainer une promotion à Besançon ?
F.M. : Pendant 46 ans, j’ai participé à la justice. À l’heure de la retraite, il me semblait bien de transmettre et partager. Parrainer un master, c’est une très belle occasion pour avoir des échanges un peu privilégiés avec un petit groupe d’étudiants pour transmettre le mieux possible ce que j’ai pu connaître. Et pourquoi Besançon ? J’ai un regard particulier sur les universités petites et moyennes. Il n’y a pas que Paris et Lyon. Il y a des universités tout aussi méritantes avec des étudiants qui le sont également, donc il ne faut pas les oublier.
Càd : En tant que parrain, que conseillez-vous aux étudiants ?
F.M. : Mon adage : travailler beaucoup et bien. Et ne pas se réfugier dans l’autocensure.
Càd : Vous étiez déjà présent en juin dernier à Besançon pour une journée dédiée à l’environnement. Quel rapport entretenez-vous avec la capitale comtoise ?
F.M. : Cela fait 4 ou 5 fois que je viens à Besançon, deux fois avec le Conseil supérieur de la magistrature. Il est vrai que je suis assez engagé sur les questions de la justice environnementale. Le parquet de Besançon m’avait invité, je n’ai pas regretté.
L’état de droit, c’est quoi ?
L’état de droit en France repose sur trois piliers : le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité des citoyens devant la loi et la mise en place de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Il assure la prééminence du droit sur le pouvoir politique. Le conseil d’État joue un rôle clé dans la protection de l’état de droit, ce dernier étant une des conditions de la démocratie et du vivre ensemble. L’état de droit garantit que tous respectent les règles de droit adoptées par les représentants élus et par le gouvernement qui en émane.
Un master en droit pénal et sciences criminelles
François Molins en est le parrain de la première promotion. Depuis la rentrée, l’Université de Franche- Comté a ouvert un master en droit pénal et sciences criminelles. “Jusqu’à présent, il n’y avait que deux pénalistes, pour une question de capacités humaines, on ne pouvait pas ouvrir ce master, resitue Béatrice Lapérou-Scheneider, responsable du master. Mais il y avait une demande très forte des étudiants qui devaient aller à Nancy ou Strasbourg.” Le master a “pour objet de former ses étudiants à un haut niveau de compétences en matière pénale et en sciences criminelles. Le programme prépare les étudiants à toutes les professions du monde judiciaire et para judiciaire en lien avec la matière pénale. Il s’agit des carrières de magistrat, avocat, greffier, directeur des services de greffe, mais également de celles de directeur des services de la protection judiciaire de la jeunesse, ou, dans l’administration pénitentiaire, de directeur ou d’officiers pénitentiaires”, explique l’université. Les 20 étudiants par promotion s'orientent ensuite vers des concours judiciaires ou parajudiciaires