Suite et fin du dossier du Doubs Agricole #42 consacré aux 10 ans de l'I.G.P Gruyère de France

AFFINAGE
Le gruyère de France : les yeux dans les yeux

À la différence de son homologue suisse, le gruyère de France se distingue par la présence de trous appelés aussi yeux qui se forment au cours de l’affinage.

“La hauteur du talon d’une meule de gruyère varie entre 13 et 16 cm. Avant leur départ, les meules ont l’objet d’une évaluation de conformité”, explique David Petetin, le chef de cave.

La filière I.G.P. gruyère de France intègre trois affineurs : les fruitières Chabert en Savoie, la Fromagerie Arnaud, et Monts et Terroirs à Poligny. La filiale de la coopérative Sodiaal dédiée aux fromages sous signe de qualité est un maillon important de la filière car elle affine 95 % des volumes de gruyère de France.

“On gère les fromages des coopératives de Trévillers, Les Plainset-Grands-Essarts dans le Doubs, d’Aboncourt, de Lavigney en Haute-Saône où Monts-et-Terroirs exploite également la fromagerie de Port-sur-Saône construite en 2020 par l’Union des coopératives d’affinages de Franche-Comté. Cet atelier collecte le lait de 50 fermes et emploie 15 salariés. En 2012, Monts-et-Terroirs a investi sur le site de Poligny dans la construction de caves à gruyère”, explique Justine Basset, chargée des relations interprofessionnelles et extérieures à Monts-et-Terroirs.

L’outil de Port-sur-Saône est entièrement dédié à la fabrication de gruyère de France. Il illustre la volonté d’insuffler une vraie dynamique à une filière qui a vu progresser ses volumes de vente de 60 % en dix ans. “On trouve toujours de nouveaux marchés en face de la production. Monts-et-Terroirs fonctionne beaucoup avec la grande distribution avec du gruyère en portions et râpé. L’export représente 28 % des ventes”, ajoute Justine Basset.

La filière a vu progresser ses volumes
de 60 % en dix ans.

À leur arrivée à Poligny, les meules de gruyère passent trois semaines dans une cave dont la température est supérieure à 15 °C et dont l’hygrométrie est supérieure à 80 %. C’est pendant cette phase dite “cave chaude” que vont se former des petits trous caractéristiques du gruyère de France. “La hauteur du talon d’une meule de gruyère varie de 13 à 16 cm. En coupant une meule en deux, on doit voir 5 trous. C’est ce qui le distingue du gruyère suisse qui est aussi plus salé avec 1,6 g de sel pour 100 g de fromage, contre 0,6 g pour 100 g de gruyère de France. Après la cave chaude, les meules retrouvent une ambiance plus froide, d’abord à 10 °C puis 6 °C jusqu’à la fin d’affinage qui dure au minimum quatre mois. Le rythme de salage varie en fonction du cycle : trois jours par semaine en pré-affinage puis tous les trois ou quatre jours en cave chaude pour finir par deux ou trois fois par mois en cave froide. Les meules sont affinées sur des planches d’épicéa régulièrement lavées, séchées mais non rabotées”, détaille David Petetin, chef de cave à Monts et Terroirs.

HISTOIRE
Du gruyère à l’I.G.P. gruyère de France : la quête d’une identité

De ses origines suisses à la reconnaissance de l'I.G.P. en 2013, la filière gruyère de France a dû surmonter de nombreux obstacles administratifs. Elle a également dû mener une bataille juridique sur la propriété du nom "gruyère" avec les voisins suisses. De plus, elle s'est vue refuser un projet d'A.O.P. par l'Union Européenne. Cet article est basé sur les recherches historiques menées par Justine Basset de Monts et Terroirs.

La définition du Gruyère français avec obligation de trous et affinage à 4 mois minimum est arrêtée le 3 mars 2003 par le Comité Interprofessionnel du Gruyère (photo S.I.G.).

C’est en Suisse, dans la région de la Gruyère entourée par les sommets des Préalpes fribourgeoises qu’est né le célèbre fromage éponyme. Au XVIIème siècle, à la faveur des troubles politiques et religieux, les fromagers suisses trouvent refuge dans les régions voisines en Savoie et en Franche-Comté. Cette migration marque le début de la civilisation du gruyère dans les montagnes jurassiennes et savoyardes.

La fabrication de ce fromage de grande taille impose une mise en commun du lait entre les producteurs. Ce travail collectif est toujours d’actualité. Le gruyère va descendre de ses montagnes et conquérir d’autres territoires agricoles au début du XXème siècle. La famille des pâtes pressées cuites voit aussi se développer des concurrents à fort tonnage comme l’emmental.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, sur un marché envahi par des gruyères de qualité très inégale, certaines régions adoptent des stratégies de différenciation avec par exemple le gruyère de Comté ou celui de Beaufort. L’adoption des accords de Stresa en 1951 mettra un terme aux conflits entre les Français et les Suisses sur la propriété du nom gruyère défini désormais comme une propriété franco-suisse. Pour autant, le dossier d’appropriation est loin d’être classé.

À partir des années quatre-vingt-dix, les deux pays vont engager une course-poursuite pour essayer de décrocher un signe de qualité empêchant l’autre de se distinguer. Les Suisses seront les plus réactifs. Ils déposent en janvier 1998, une demande de reconnaissance en A.O.C. gruyère suisse. Un mois plus tard, Gruyère Suisse et Gruyère Français engagent une réflexion commune, avec l’idée d’une appellation transfrontalière pour se défendre du Comté et du Beaufort.

La coopération s’achève en avril 2001, trois mois avant que le Gruyère Suisse obtienne son A.O.C. le 6 juillet 2001. Le Comité Interprofessionnel du Gruyère qui porte le dossier français poursuit ses démarches. La définition d’un Gruyère Français avec obligation de trous et un affinage de 4 mois minimum est actée en mars 2003. Le C.I.G. qui devient Syndicat interprofessionnel du Gruyère en 2005 peaufine le contenu de son cahier des charges.

L’A.O.C. est attribuée au Gruyère français en 2007 avant d’être retoquée en 2010 par l’Union Européenne qui estime que tous les critères ne sont pas requis pour l’obtention d’une A.O.P. Suisse 1, France 0.

Cette décision va pousser les opérateurs français vers l’I.G.P. qui sera finalement homologuée par l’I.N.A.O. en octobre 2010 sur la base du cahier des charges de l’A.O.C. Les accords bilatéraux entre l’U.E. et la Suisse sur les produits agricoles intègrent en 2011 la reconnaissance mutuelle des I.G.-A.O. Le Gruyère de France décroche finalement la labellisation I.G.P. le 6 février 2013.

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