Hydrogéologue spécialiste du milieu karstique, Jean-Pierre Mettetal estime que les possibilités de maintenir un niveau du Doubs correct en période d’étiage existent. Il faut de la volonté et des moyens.
Càd : Quelle est la situation des nappes phréatiques dans le Haut-Doubs ?
Jean-Pierre Mettetal : Depuis plusieurs mois, il pleut de façon certes désagréable, mais régulière, et on peut dire qu’actuellement, nous sommes dans une situation idéale. Si bien que les nappes sont au-dessus de leur niveau normal un peu partout dans le département. Tout est plein à ras bord ! À certains endroits où de l’eau stagne, ce ne sont pas des inondations, mais bel et bien le niveau de la nappe qui affleure.
Càd : La situation est donc rassurante par rapport à ce qu’on a connu à plusieurs reprises depuis 2018 ?
J.-P. M. : La situation est actuellement idéale et on part sous les meilleurs auspices, mais s’il s’arrêtait de pleuvoir fin mai, le Doubs serait à sec en septembre. Il ne faut pas oublier la nature karstique de notre sous-sol et les pertes du Doubs qui existent depuis toujours entre Pontarlier et Morteau et au niveau des bassins du Doubs sont un phénomène naturel, que tout le monde semble redécouvrir à chaque sécheresse, mais qui ne va pas aller en s’améliorant. Car plus l’eau s’écoule dans ces failles, plus les conduits karstiques ont tendance à s’ouvrir.
Càd : Il semble tout de même que le Doubs se vide plus vite entre Pontarlier et Remonot dès qu’un épisode de sécheresse perdure un peu. C’est un constat qui est juste ?
J.-P. M. : Oui, c’est juste et ça s’explique par le fait que la station de traitement des eaux de Pontarlier dispose désormais d’un système de traitement du phosphore. La conséquence, c’est que toutes les algues qui tapissaient le Doubs à hauteur d’Arçon ou Ville-du-Pont n’ont plus de nourriture pour se développer et ont disparu. Elles formaient comme une sorte de tapis qui ralentissait les pertes du Doubs. Ce spectacle peu ragoûtant de développement des algues dû au phénomène d’eutrophisation est, heureusement, révolu. Mais le résultat est aussi l’accélération des pertes du Doubs.
Càd : Il n’y aurait rien à faire pour les empêcher ?
J.-P. M. : On sait où se situent ces failles et ces fuites. J’avais proposé qu’on modifie légèrement le cours du Doubs à certains endroits entre Pontarlier et Remonot, notamment à hauteur d’Arçon, pour éviter certaines de ces fuites qui sont situées en bordure du lit du Doubs, mais les écolos ont dit non. On avait réfléchi à un système qui permettrait de basculer sur un autre mode dans le cas où la Loue n’était plus alimentée, mais les oppositions ont eu raison de ces projets qui pourraient pourtant être mis en œuvre. On ne doit pas baisser la garde, il y aura forcément dans les années à venir des travaux à entreprendre sur les rivières du Haut-Doubs.
Càd : Et qu’en est-il dans les bassins du Doubs après les tentatives de rebouchage des fuites que vous aviez pilotées il y a plusieurs décennies ?
J.-P. M. : Entre-temps, de nouvelles pertes ont été trouvées à 35 mètres de profondeur au droit du débarcadère suisse. L’idée d’engager une nouvelle opération de rebouchage des fuites est à nouveau étudiée par un groupe de travail franco-suisse. Il faut pousser plus loin la recherche d’éventuelles nouvelles pertes, mais cela nécessite que tout le monde s’accorde à engager de nouveaux investissements sur cette question.
Càd : Et si le consensus existe, il pourrait à nouveau se faire des travaux de rebouchage ? Et avec quelle méthode ?
J.-P. M. : Il n’y a pas d’autres méthodes que d’injecter du béton. On nous parle de géotextile mais ces matières ne sont pas du tout étanches et la membrane éclaterait avec le poids de l’eau à cette profondeur. Selon moi, il y a longtemps que ce projet aurait dû être repris et chiffré mais là encore, les écologistes bloquent tout. Je sais que les Suisses ne seraient pas opposés à faire avancer ce dossier. Sur ce plan-là, il y a encore beaucoup à faire. Y compris chercher de nouvelles ressources d’eau grâce à des forages profonds afin de trouver, dans notre département, des réserves régulatrices. On a fait dernièrement des forages du côté de Maîche à 300 m de profondeur. Il est nécessaire de trouver des moyens de sécuriser l’approvisionnement et les niveaux d’eau pour l’avenir. En cette matière, il faut toujours essayer d’avoir un coup d’avance.