Toujours bon pied, bon œil à l’aube de ses 95 printemps, André Prudhon vient d’écrire le récit de sa vie. Un parcours rustique, sportif, avec toutes les joies et les peines de l’existence d’un homme franc et plein de bonté.
Bien avant que le franc suisse ne donne le tournis à l’euro et que le Haut-Doubs bascule dans l’économie frontalière, le territoire tirait l’essentiel de sa subsistance de l’agriculture. Bien loin également des prix du lait à comté, à morbier, à mont d’or d’aujourd’hui. Fils d’agriculteur, André Prudhon peut en témoigner. “Mes parents exploitaient une ferme à Jougne qui appartenait au banquier pontissalien Labrut. Ils soignaient un troupeau d’une trentaine de bêtes, ce qui était déjà très important à l’époque.”

La traction animale était de mise chez les Prudhon qui attelaient chevaux, bœufs et même un taureau pour effectuer les travaux des champs. Les parents et leurs six enfants apportaient leurs bras sans rechigner et surtout sans se plaindre. À 7 ans, André décroche son premier poste de berger pour aller garder les vaches chez Marguerite Pourchet. “Je n’avais pas toujours le temps d’aller à l’école. À 10 ans, je me suis retrouvé seul avec mon frère de 8 ans à la ferme du Palzard à Entre-les-Fourgs pour garder des génisses de mai à novembre. Les parents venaient nous ravitailler une fois par semaine. Ils nous avaient laissé une vache pour avoir du lait et faire du beurre.”
Le travail a toujours été une vertu dans la famille. André a commencé à faucher à tout juste 11 ans. “J’arrivais à faire 80 ares par jour. Chaque année, je fauchais une dizaine d’hectares sur des terrains très en pente. Je travaillais de 4 heures à midi puis je reprenais vers 14 heures jusqu’à 22 heures.” Les 2 x 8 ! Pas du tout assidu à l’école, il réussit quand même à décrocher son certificat d’études.
À l’heure du service militaire, il part 18 mois en Allemagne. Le caporal-chef Prudhon qui servait dans les transmissions en garde de merveilleux souvenirs. “L’armée, c’étaient les premières vacances de ma vie. J’ai gardé beaucoup de copains. Ce passage sous les drapeaux m’a bien débrouillé.”
Retour à la ferme familiale. À la vie d’agriculteur sans le sou, il préfère la tournée du facteur. “J’ai profité d’une saison de berger pour apprendre toutes les préfectures, sous-préfectures de France car je savais que la géographie était la matière principale au concours passé à Besançon.” Sur 35 000 candidats inscrits, 3 000 sont retenus dont André Prudhon qui se retrouve à la 1 835ème place du classement. “J’ai commencé par faire quelques remplacements de 1953 à 1956 avant de partir à Colombier-Fontaine près de Montbéliard. J’étais dans les 10 premiers candidats reçus au concours dans le Doubs. J’ai ainsi évité la région parisienne où je ne serais de toute façon pas aller vivre.”

En deux ans passés à Colombier-Fontaine, il estime avoir cuisiné tout au plus quatre ou cinq repas de midi, étant la plupart du temps nourri chez l’habitant. Étonnant sens de l’hospitalité.
Le départ du facteur de Jougne ouvre une opportunité qu’il ne laissera pas passer. Il restera dans cette commune jusqu’à son départ en retraite en 1985. “Cette commune avec beaucoup de fermes ou hameaux n’était pas très attractive pour les facteurs. Pour moi, c’était du bonheur.” Cette nouvelle affectation lui permet surtout de se rapprocher de Gisèle, perceptrice à Mouthe qu’il avait épousée en décembre 1956. “On est venu vivre à Labergement-Sainte-Marie.” Le couple a eu une fille et deux petits-enfants.
Chasseur dans l’âme, André a été président de la chasse à Mouthe pendant 40 ans. “Au début des années 2000, on est parti vivre à Ounans dans le Val d’Amour. Mon épouse était fatiguée de la neige, des rudesses du climat.” Il n’est jamais trop tard pour bien faire. À l’aube de la quarantaine, le facteur de Jougne qui pratiquait déjà beaucoup le ski de fond s’est trouvé une nouvelle passion pour la course en montagne. Il remportera de nombreuses courses chez les vétérans, vainqueur par trois fois de la fameuse Sierre-Zinal. À cette époque, je courais entre 120 et 230 km par semaine. “Nous habitions alors à Malbuisson et je faisais régulièrement l’aller-retour jusqu’au Suchet.”
Veuf depuis huit ans, André garde le moral et la santé. Il vient régulièrement rendre visite en voiture à trois frères et sœurs encore en vie. S’il ne se laisse pas marcher dessus, il a toujours eu la repartie bienveillante et apprécie la vie en société. De quoi se faire respecter et apprécier. “Je connais peu de personnes qui aient autant d’amis !”, explique un de ses proches.