"Le plus dur est derrière nous"
La directrice générale du CHU Minjoz à Besançon et le président de la Commission médicale d'établissement reviennent sur ces deux mois et demi hors du commun. L'établissement de soins bisontin avait su anticiper sa totale réorganisation avant l'arrivée de la vague de Covid-19. Interview à l'heure où débute le Ségur de la Santé.
La Presse du Doubs : Deux mois et demi après le début de l'épidémie de Covid-19, quelle est la situation au CHU de Besançon ?
Chantal Carroger : Je peux affirmer aujourd'hui que le plus dur est derrière nous. Nous avons beaucoup moins de patients Covid et le retour à une activité normale se poursuit depuis trois semaines. Nous avons désormais une centaine de patients hospitalisés pour Covid, moins de 40 en réanimation et plus de 500 patients sont sortis guéris depuis le début de l'épidémie. 264 agents du CHU ont été touchés par le virus, aucun n'est heureusement décédé.
Dès le début de l'épidémie, nous avions entièrement détricoté l'organisation du CHU pour le retricoter en mode Covid. L'établissement a vécu un bouleversement total. Depuis le 17 mars, notre centre 15 a reçu plus de 10 500 appels concernant des suspicions de Covid. Notre salle de régulation comportait 19 postes, elle fonctionnait de 8h à minuit !
"Jamais il n'y a eu de mouvement de panique au CHU de Besançon justement parce qu'on a pris le problème à bras-le-corps dès le début."
Racontez-nous l'arrivée du virus à Besançon ?
CC : Le premier cas est arrivé le mercredi 4 mars. Dès le 5, nous avons mis en place une cellule de veille, avant même le déclenchement du plan blanc le 9 mars. Nous avons été un des tout premiers CHU de France à le déclencher. Depuis cette date, cette cellule de veille s'est réunie tous les jours. Jamais il n'y a eu de mouvement de panique au CHU de Besançon justement parce qu'on a pris le problème à bras-le-corps dès le début. Nous avons été également les premiers à faire appel à la réserve sanitaire. Et avant même que les textes officiels sortent, nous avions décidé de déprogrammer tous nos actes de chirurgie non urgents afin de réorganiser les services. De 40 lits de réanimation avant le virus, nous sommes monté à 92. Le maximum de patients en réa qu'on ait accueilli, c'est 92, mi-avril, au plus fort de la crise.
Avez-vous eu à ce moment-là à "trier" les malades ?...
Pr Samuel Limat : Nous n'avons jamais eu à choisir entre telle et telle personne. Les protocoles de réanimation ont toujours été scrupuleusement respectés. On avait bien sûr travaillé cette hypothèse extrême avec notre comité éthique début mars mais nous n'avons heureusement jamais été dans cette situation.
Le CHU a-t-il souffert de pénuries de matériel ?
CC : La sectorisation Covid rapidement mise en place a justement permis d'économiser des équipements de protection individuelle. On a eu des inquiétudes concernant les stocks mais grâce à la mobilisation de tous, nous n'avons pas connu de pénurie. C'est notamment grâce au travail de notre service hygiène qui a mis en place des organisations moins consommatrices de ces équipements de protection.
"On tend en effet vers un retour à la normale mais on est toujours sur le qui-vive."
On peut enfin parler d'un retour à la normale ?
Pr SL : On tend en effet vers un retour à la normale mais on est toujours sur le qui-vive, jusqu'à début juin au moins. S'il devait y avoir un rebond de l'épidémie, ce qui n'est pas le cas pour le moment, on devrait de toute façon être prêt à supporter cette deuxième salve. Nous aurons un dispositif de veille pour réactiver, si besoin, des services Covid. Mais la réorganisation des services sera de toute manière très lente. On est encore loin sur ce plan-là d'un retour à la normale. La réorganisation peut sans doute s'avérer plus compliquée que l'organisation. Et une chose est sûre : le fait de revenir à la normale dépendra clairement et uniquement du virus.
Cette crise va-t-elle vous faire réfléchir sur l'organisation future du CHU ?
Pr SL : Clairement oui. Concernant l'organisation des blocs opératoires par exemple, ou encore sur la question transversale des maladies infectieuses, de laquelle on ne parlait finalement pas beaucoup. Nous tirerons également des leçons de la pratique de la télé-médecine. Ce genre d'enseignements doit nous faire revoir certaines de nos priorités en termes d'organisation.
Le personnel, extraordinaire, n'a pas ménagé ses efforts. Pourra-t-il poser ses congés normalement ?...
CC : La programmation des congés jusqu'à maintenant était une question délicate. Je ne pourrai leur dire que début juin s'ils peuvent partir en juin. Pour les congés de juillet-août, je pense qu'il va falloir encore attendre un peu. Les agents proposent, et on valide au fur et à mesure. Ils doivent savoir aussi que le risque peut exister d'avoir à revenir si une deuxième vague arrivait. Je crois que tout le monde en est conscient, un peu comme des combattants qui vont au front.
Quid des primes annoncées et toujours pas versées ?...
CC : Nous n'avions reçu mi-mai aucune directive ni modalité officielle, c'est la raison pour laquelle il était impossible de la prévoir sur les fiches de paie de mai. Les choses se sont précisées depuis et tous les hospitaliers en effet à Besançon doivent toucher cette prime de 1 500 euros, certainement sur leur paye de juin.
Vous reconnaissez aussi que les métiers de l'hôpital ne sont pas suffisamment valorisés ?
CC : L'hôpital public a été la clé de voûte du système de santé en France pendant cette crise, je pense que tout le monde sera d'accord sur ce point. C'est pourquoi le gouvernement ne peut pas faire l'économie de repenser complètement l'organisation de l'hôpital. Les revalorisations salariales sont légitimes si on veut un hôpital fort. Mais les questions de sous-effectifs et de recrutement ne vont pas se régler aussi vite car le privé continue à attirer davantage les jeunes soignants. Le CHU de Besançon a tout de même créé près de 400 postes en 5 ans. Mais l'attractivité de ces métiers doit évidemment passer par leur revalorisation.
Propos recueillis par J-FH
Souvenons-nous : au plus fort de la crise, des transferts avaient été organisés avec le soutien de l'armée :
Et plus de 200 soignants volontaires s'étaient formés au retournement de malades :