En l’espace de quelques semaines, Laure Hubidos est passée d’une intense joie au désarroi et à l’incertitude. La présidente du collectif national des Maisons de vie est restée sidérée à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, stoppant net les travaux sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Projet de loi dans lequel un article adopté actait le déploiement des maisons d’accompagnement, dont la première a été expérimentée à Besançon grâce à Laure Hubidos.
La Presse Bisontine : Qu’avez-vous ressenti le soir du 9 juin en découvrant la dissolution de l’Assemblée nationale et donc l’arrêt de tous les travaux parlementaires dont ceux sur la loi relative à l’accompagnement des malades et de la fin de vie ?
Laure Hubidos : On est tous tombés de haut. Il y a eu un sentiment mitigé. D’une part, du découragement. Se dire qu’à 48 heures près, la loi aurait été votée. De l’incertitude aussi, et Dieu sait si j’en ai eu ces dernières années, qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Et en même temps, j’ai ressenti de la motivation. Dans tous les cas, il faut que les Maisons de vie, quoi qu’il arrive, puissent se développer. J’ose espérer qu’on peut quand même faire confiance au monde politique pour réaliser que les enjeux sont bien au-delà de tous les clivages politiques. En tant que présidente du collectif, je ne rentre pas dans un débat politique à proprement dit. Ce qui compte, c’est que chacun vote en conscience en se mettant à la place des personnes qui ont besoin de ces structures. Car on est tous concernés.
L.P.B. : Comment appréhendez-vous l’avenir ?
L.H. : Je reste confiante sur le fond. Avec le collectif, on va suivre de très près les évolutions. Mais à un moment donné, ça suffit. 20 ans après, le déploiement des Maisons de vie est juste une nécessité, il n’y a plus à tergiverser. Arrêtons de se poser 1 000 questions sur un concept qui a fait ses preuves. Il faut qu’il y ait une hauteur de vue avec une vision humaine.
L.P.B. : Pouvez-vous expliquer ce qu’est exactement une Maison de vie et d’accompagnement ?
L.H. : Une Maison de vie est une nouvelle solution d’accueil, d’accompagnement et de répit. Les Maisons de vie sont destinées aux personnes gravement malades et à leurs proches aidants. Elles s’inscrivent en complémentarité du domicile et de l’hôpital. Elles permettent d’apporter des solutions d’aval afin de désengorger les services hospitaliers saturés, proposent des solutions de répit au domicile, favorisent un accompagnement à dimension humaine et génèrent également des économies pour le système de santé. Le coût d’un séjour hospitalier est en moyenne de 1 500 euros quand le prix d’une journée à la Maison de vie est de l’ordre de 250 euros par jour. Mais l’écueil majeur réside dans le fait que ces structures sont à la croisée des champs sanitaire et médico-social et n’ont pas de cadre réglementaire propre. C’est toute la difficulté pour leur développement. Et les Maisons de vie sont bien sûr complémentaires aux unités de soins palliatifs. Le Docteur Régis Aubry m’a d’ailleurs toujours soutenue.
L.P.B. : Lors des débats à l’Assemblée nationale, avant l’adoption de l’article actant le déploiement des maisons d’accompagnement le 31 mai, un député de l’opposition a qualifié ces structures de maisons de la mort, car l’aide à mourir peut y être pratiquée au même titre qu'à domicile. Que répondez-vous ?
L.H. : Je pense qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. Pour être très sincère et en toute humilité, depuis 20 ans, tout ce que j’ai dû affronter comme épreuves pour mettre en œuvre cette maison, la faire vivre et dans l’accompagnement de ces personnes, la chose que j’ai apprise en premier lieu, c’est l’importance de rester humble. Et aujourd’hui, la seule qui sait vraiment ce qu’est une Maison de vie, c’est moi, je le dis en toute humilité. Puisque je l’ai inventée, je l’ai vécue, je l’ai dirigée. Et également Delphine Calicis qui est la responsable de la Maison Astrolabe ouverte l’an dernier (maison de vie et d’accompagnement dans le Tarn N.D.L.R.). Nous sommes deux en France à savoir de quoi on parle. De tous ceux qui disent “maison de vie, maison de mort”, ce sont des discours du jeu politique qu’on connaît.
L.P.B. : La fermeture de la Maison de vie de Besançon-Saint-Ferjeux en 2019 a été un coup terrible pour vous. Comment avez-vous trouvé la force de continuer ?
L.H. : La Maison de vie a changé d’orientation pour des problèmes de gouvernance à ce moment-là mais en aucun cas en raison de sa mission. La Maison de vie fonctionnait et la fermeture est d’ailleurs un grand regret pour toutes les familles, les personnes en répit et cela a été très difficile pour l’équipe de la Maison de vie. Ça a été terrible pour moi, c’est l’impression qu’on détruit l’œuvre de votre vie pour des raisons qui ne devraient pas être. Mais comme quoi, dans la vie, rien n’est figé. Depuis 2017, avec le collectif national des Maisons de vie, on se mobilise pour que ces structures puissent se développer et que naisse un cadre juridique adapté permettant ce développement. J’ai essuyé les plâtres et je me suis dit que ce serait plus simple pour les porteurs de projet de Maisons de vie après. Je me suis lourdement trompée. On leur disait, comme on m’avait dit des années auparavant “Vos projets sont géniaux mais ça ne rentre pas dans les cases.” Donc depuis toutes ces années, l’objectif était de se battre et de se mobiliser pour que nous ayons enfin cette petite case permettant le développement des Maisons de vies. Fin 2022, il y a eu le lancement de la convention citoyenne. Puis, j’ai fait une tribune dans Libération pour interpeller le gouvernement en disant à quel point il était nécessaire de créer des lieux alternatifs d’accompagnement entre l’hôpital et le domicile. J’ai également écrit au président de la République et aux trois ministres concernés en sollicitant un rendez-vous que j’ai eu. Si aujourd’hui, ils ne prennent pas cette opportunité de développer ces projets, c’est un non-sens. Il s’agit juste d’une question de bon sens et d’humanité.
L.P.B. : Vous évoquez 20 ans de combat. Comment est né votre engagement dans l’accompagnement de personnes en fin de vie ?
L.H. : Mon engagement remonte à 2001, j’avais 30 ans. Le détonateur a été la mort de mon père. Je me suis formée à l’accompagnement en soins palliatifs. Très vite, je me suis rendu compte qu’il manquait un maillon au système. Et puis, la Maison de vie est partie d’un rêve. À l’époque, j’accompagnais un monsieur à domicile, atteint de la maladie de Charcot, je pense beaucoup à lui. Je me suis occupée de lui pendant trois ans. Et mon accompagnement a permis de l’apaiser. À l’occasion d’un reportage sur son accompagnement, ce monsieur avait dit : “La seule chose que je pourrais dire, c’est qu’aujourd’hui, je suis heureux.” C’était juste incroyable. C’est à partir de là que j’ai décidé de créer la Maison de vie, une petite maison pour chouchouter les gens et leur permettre de vivre ce qu’ils ont à vivre. Le nom d’ailleurs m’est venu comme ça car l’objectif, c’est être dans la vie. Ce n’est pas parce qu’on est malade, parce qu’on est en situation palliative qui peut durer des années avec les progrès de la médecine, qu’on n’est pas dans la vie.
L.P.B. : Avec le recul, quel regard portez-vous sur ces 20 années de combat ?
L.H. : Quel chemin ! Un chemin semé d’embûches, mais un merveilleux chemin. Toutes ces années, une citation de Gandhi m’a beaucoup accompagnée : “Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde.” Il faut oser.
Témoignages
La Maison de vie vécue de l’intérieur
Rachel a été aide médicopsychologique à la Maison de vie. Cela a d’ailleurs été son dernier emploi dans ce métier. Arrivée trois mois après l’ouverture de la Maison de vie, elle retient de son expérience la profonde humanité qui nourrissait la Maison de vie. “On aidait les gens dans leur souffrance”, se souvient Rachel. “Avant, j’étais en maison de retraite, c’était complètement différent. À la Maison de vie, c'était humain, j’avais deux toilettes le matin, on avait le temps de rester avec eux, de discuter, ce sont des choses qu’on ne voit pas ailleurs. Les plus belles années pour moi sont les cinq ans passés à la Maison de vie. On était en civil, on partageait tout. Aujourd’hui, j’ai complètement changé de métier. Il faut prendre du recul mais c’est dur, on s’attache aux gens. Il y avait un relationnel très très fort. Les familles étaient très présentes et très proches des soignants.”
Cela a été le cas de Monique. Sa fille Nadine, atteinte de la maladie de Charcot, a pu profiter des bienfaits de la Maison de vie. Diagnostiquée en 2005, Nadine est revenue par la suite vivre chez sa mère. “Tant que j’ai pu, j’ai fait,” souligne Monique. “Nadine avait fait quelques séjours aux Salins de Bregille mais ça devenait difficile pour les soignants. Elle faisait quelques séjours à l’hôpital aussi pour que je puisse me reposer. Nadine savait que Laure allait ouvrir une Maison de vie, elle voulait y aller. Elle y est entrée en 2011, elle s’y plaisait beaucoup. C’était une petite structure, familiale, elle aimait partir à la Maison de vie. Et ça me donnait du répit pour faire autre chose. Elle est restée à la Maison presque jusqu’au dernier moment, elle ne voulait pas mourir dans une autre structure.”
En 2016, après un mois en soins palliatifs, Nadine décède. Sa personnalité a laissé un souvenir indélébile, tant à Rachel qu’à Laure Hubidos. “Pour la lever, il fallait deux heures. Où peut-on faire ça à part dans une Maison de vie ?” s’interroge Laure. “Ce lieu permettait à l’équipe de pratiquer le soin tel qu’elle le voulait.” “Je n’oublierai jamais Nadine, c’était quelqu’un d’exceptionnel,” souffle Rachel. “Les gens en fin de vie ne se plaignent pas. Ça m’a permis de voir la vie autrement.”
La Maison de vie pouvait accueillir 7 personnes lors de la phase expérimentale. Puis, une fois l’expérimentation validée, la Maison de vie a pris place dans un bâtiment plus grand pouvant accueillir 12 personnes.