Le monde local de la santé a été secoué ces dernières semaines par des faits divers - médecin accusé d’agressions sexuelles au cabinet éphémère de Morteau, pharmacien accusé de détournement de fonds… Au-delà de ces polémiques qui ont créé un émoi légitime au sein de la population locale, nous avons décidé de nous pencher sur la question de l’offre de soins dans le Haut-Doubs et de la démographie médicale alors que l’Observatoire statistique transfrontalier de l’Arc jurassien (O.S.T.A.J.) vient de publier une étude sur le sujet. Les acteurs de la santé et les décideurs ont décidé il y a quelques années de prendre ce sujet à bras-le-corps. De nouveaux projets de maisons de santé pluridisciplinaires émergent à Morteau et à Saint-Hippolyte par exemple. La santé, un enjeu majeur pour l’attractivité du territoire.
Des médecins plus nombreux en Suisse mais une profession qui se rajeunit en France
L’observatoire statistique transfrontalier de l’Arc jurassien a analysé l’offre de soins sur le territoire frontalier, qui reflète des tendances démographiques et structurelles, voire culturelles, bien distinctes de part et d’autre de la frontière. C’est particulièrement significatif au niveau des médecins de proximité.
Au 1er janvier 2023, plus de 13 000 médecins et spécialistes exercent dans l’Arc jurassien avec une densité de 30 médecins pour 10 000 habitants côté France contre 48 médecins pour 10 000 habitants sur la partie suisse. La part d’hommes dans la profession est légèrement supérieure à celle des femmes de chaque côté de la frontière. L’Arc jurassien franco-suisse compte 3 100 médecins de proximité, catégorie regroupant les généralistes et les pédiatres, lesquels sont plus nombreux sur la partie suisse. Le recours à la pédiatrie varie d’un pays à l’autre. En Suisse, les consultations de médecine de proximité destinées aux enfants de moins de 5 ans sont assurées à 90 % par des pédiatres. Le recours au médecin généraliste plutôt qu’au pédiatre reste minoritaire jusqu’à la fin de l’adolescence. À l’inverse, en France, plus de 40 % des enfants de 0 à 3 ans sont suivis uniquement par un généraliste. Le recours au pédiatre reste donc minoritaire en France où la moitié des pédiatres exerce dans un hôpital.
L’offre de médecine de proximité est un peu plus dense côté suisse avec 10,5 médecins de proximité pour 10 000 habitants contre 9,1 pour 10 000 habitants côté français. En Suisse, la plus grande densité se trouve dans le canton de Neuchâtel (11,7) et la plus faible dans celui du Jura. Globalement, la médecine de proximité dans l’Arc jurassien français s’installe de préférence en ville : Besançon, Lons-le-Saunier, Dole ou Pontarlier. Même topo côté suisse avec une plus forte concentration de médecins de proximité dans les zones urbaines plus peuplées et disposant d’infrastructures hospitalières comme à Berne, Lausanne, Neuchâtel ou Bienne. En France comme en Suisse, les espaces ruraux périphériques sont proportionnellement moins dotés en offre médicale de premier recours et présentent des risques de pénurie.
Avec une moyenne d’âge de 49 ans côté français et 53 ans côté suisse, le corps médical de proximité est relativement âgé. Les médecins de l’Arc jurassien suisse présentent une structure par âge plus vieillissante que celle de leurs homologues français. Là où 27 % des médecins français ont moins de 40 ans, ils ne sont plus que 14 % dans la partie suisse. Au cours de la dernière décennie, les structures d’âge du côté français et du côté suisse n’ont pas évolué de la même façon. Du côté français, sous l’effet du doublement au niveau national du numerus clausus entre 2000 et 2020, des classes à présent plus nombreuses rejoignent chaque année la profession, contribuant à la rajeunir sensiblement. Pour autant, cela ne suffira pas à maintenir le niveau d’offre de soins, et ce pour plusieurs raisons. Le vieillissement de la population de l’Arc jurassien induit plus de soins. À cela s’ajoute l’évolution des pratiques avec de nouvelles générations de praticiens davantage en quête d’un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ces éléments montrent que le renouvellement de la profession surtout en Suisse ne sera pas chose aisée. Le recours aux médecins ayant obtenu leurs diplômes à l’étranger participe aussi à la gestion de la pénurie de médecins de chaque côté de la frontière. Dans l’Arc jurassien suisse, près de trois médecins de proximité sur 10 ont été formés à l’étranger en 2022 contre un sur dix côté France. Pour autant, le nombre de médecins de proximité augmente dans l’Arc jurassien suisse, 17 % en dix ans, soit une croissance de 1,6 % par an. Cette dynamique est supérieure à la croissance démographique. Dans l’Arc jurassien français, le nombre de médecins de proximité a diminué de 1,2 % par an depuis 2013. Cette baisse pourrait s’expliquer dans le Jura et le Territoire de Belfort qui ont perdu de la population mais reste un mystère dans le Doubs qui affiche une croissance démographique positive.